Photographier la nuit n’est pas seulement une question de technique ou d’esthétique. C’est aussi une réflexion sur la nature même de la perception et de la représentation. Brassaï, dès les années 1930, avait déjà exploré cette voie avec une maîtrise admirable. À sa suite, j’ai cherché non pas à imiter, mais à trouver ma propre voix, à travers un dialogue entre objectivité et interprétation créative. Le passage de Bernard Latarget dans la préface de mon catalogue Parc National de Guadeloupe (1989) résume parfaitement cette démarche : il s’agit moins de reproduire fidèlement la réalité que de la transposer, de lui conférer une dimension symbolique, où la description devient un vecteur de sensations.
Ce travail sur la nuit m’a offert une liberté nouvelle. Quand le jour se retire, la ville se dévoile autrement. Les rues désertées, les lumières dispersées créent une scène propice à l’introspection. C’est dans ces moments que je me sens pleinement maître de l’espace, libre d’explorer, de cadrer selon mes envies, sans être contraint par les distractions du quotidien. La nuit permet d’effacer l’anecdotique, de purifier l’image de tout élément superflu, pour n’en conserver que l’essence. Cette approche m’a permis de révéler ce que le jour dissimule : les forces souterraines, les énergies latentes, l’âme des lieux.
Dans mes photographies nocturnes, le tragique n’est jamais loin, mais il n’est pas frontal. L’étrangeté inhérente à la nuit, avec ses ombres profondes et ses lumières discrètes, permet de le maintenir à distance. Il ne s’agit pas d’ignorer le drame mais de le rendre plus accessible, plus traitable. La photographie de nuit n’adoucit pas le réel, elle le met à nu, tout en laissant suffisamment de place pour la réflexion, pour une appréhension plus sereine des lieux chargés d’histoire et d’émotion.
Quelques photos d’ALAIN
Vernissage: Avril 2025
0 commentaires